Extrait de Mondialisation à la dérive. Europe sans boussole, p. 118-121
Le Royaume-Uni subira une perte plus importante que celle de l’UE. Il assumera seul des tâches auparavant confiées à Bruxelles et qui bénéficiaient d’économies d’échelle comme la politique de la concurrence, les réglementations sanitaires et, bien sûr, la politique commerciale. Elle affrontera le risque de délocalisation de ses firmes dans tous les secteurs, et pas uniquement dans le secteur financier. L’industrie britannique, qui avait connu une renaissance remarquable, stimulée par les investissements étrangers, pourrait voir sa structuration remise en cause par la rupture de la chaîne de valeur. La crise économique n’est pas inéluctable, mais les futurs gouvernements devront être très imaginatifs pour trouver une alternative qui éviterait un retour au lent déclin britannique qu’un demi-siècle plutôt, l’adhésion du Royaume Uni avait contribué à enrayer.
Car le Royaume-Uni s’est trouvé confronté à un trilemme impossible :
Le rapport de force est évidemment du côté des 27. Le RU, ne représente que 16% du PIB européen. Il est en position de demandeur vis-à-vis de tous les autres. Mais il n’est pas acquis que, pour l’Angleterre, un accord soit meilleur que pas d’accord du tout, tant pour des raisons économiques que pour des raisons politiques.
Il opte pour un Brexit « doux » de type Espace Économique Européen (EEE), marché commun sans union douanière. Elle impose une liberté de circulation des personnes plus ou moins limitée, mais perpétue une grande partie des contraintes rejetées par les électeurs comme la contribution au budget européen et l’adaptation aux règles européennes. La possibilité de négocier des traités est également fortement réduite car le RU serait contraint d’imposer à ses partenaires potentiels le respect des normes et des réglementations européennes. En cas d’Union douanière, alternative à l’EEE, le Royaume-Uni ne pourrait plus négocier ses propres accords commerciaux éteignant ainsi la flamme mondialiste des pro-Brexit. Les pertes économiques seraient contenues mais la perte politique serait maximale. Non seulement le Brexit ne répondrait pas au slogan de ses partisans – « Take back control » (Reprenons le contrôle), mais il l’inverserait puisque le Royaume-Uni ne participerait plus à la prise de décisions qui pourtant les concernent. Il n’aurait plus de Commissaires, plus de députés et, à terme, plus de fonctionnaires européens …
Il opte pour un Brexit « dur » limité à un traité de libre-échange de type CETA avec la Canada. Le vote britannique est respecté, le Royaume redevient libre de ses accords commerciaux, mais la perte économique est élevée. L’Angleterre, compétitive et excédentaire dans les services, devra renoncer au libre-accès au marché européen notamment pour les services financiers. Pour exporter ses marchandises vers l’Europe elle devra respecter des règles d’origine qui contraindront ses approvisionnements en biens intermédiaires et compliqueront la négociation d’accords commerciaux avec le reste du Monde. Les firmes implantées en Grande-Bretagne seraient alors encouragées à se délocaliser dans l’Union européenne. Ces mêmes règles d’origine imposeront à la Grande-Bretagne de rétablir une frontière entre les deux Irlande où entre celle-ci et la Grande-Bretagne, si l’Irlande du Nord devait acquérir un statut d’autonomie douanière. La province pourrait rester dans le marché unique mais se rapprocherait ainsi d’une réunification dont ne veulent à aucun prix les Unionistes nord-irlandais.
Finalement, il n’est même pas certain que cette dernière solution soit très sensiblement préférable à celle d’une absence d’accord. L’Union Européenne appliquerait alors au Royaume-Uni ses tarifs NPF (nation la plus favorisée), les mêmes que ceux appliqués aux pays non liés par un traité commercial, comme les Etats-Unis ou la Chine. Quant à elle, le Royaume-Uni devrait sans doute reprendre la grille tarifaire de l’Union Européenne pour ne pas avoir à négocier ses droits à l’OMC, ce qui ne l’empêcherait pas d’appliquer, des droits plus faibles. Assez paradoxalement, peut-être, l’UE pourrait trouver dans une Grande-Bretagne isolée un allié pour défendre le multilatéralisme, seule option pour un pays brutalement dépouillé de ses accords commerciaux. À l’inverse, L’UE pourrait devoir affronter les attaques prédatrices d’un Singapour atlantique, dont rêvent les libertariens pro-Brexit et qui manierait tous les dumpings qu’ils soient sociaux, environnementaux ou fiscaux… Mais la Grande-Bretagne n’est ni un îlot des Caraïbes, ni une ville-État asiatique et elle n’aurait sans doute pas les moyens politiques, économiques et financiers de mener cette guerre.
Aucune des voies qui viennent d’être évoquées ne bénéficie d’un soutien politique suffisant et même si le gouvernement britannique trouvait la combinaison complexe qui lui conférerait un soutien interne minimal, il est très improbable que l’Union Européenne accepte des dispositions tordues qui remettraient en cause ses principes. De fait, la meilleure solution pour le Royaume-Uni serait sans aucun doute – humiliation suprême – de renoncer au Brexit. Mais arriverait-elle à préserver l’influence qu’elle exerçait autrefois sur l’Europe et qui avait freiné les velléités fédéralistes et poussé l’Union vers un libéralisme thatchérien?