Publié par Atlantico le 25 août 2025
Donald Trump a-t-il déjà perdu son clash commercial avec la Chine ? Les Etats-Unis sont menacés par un risque de récession face aux conséquences de la guerre commerciale et des tarifs douaniers déployés contre la Chine. Donald Trump a assuré que ses choix politiques allaient au bout du compte, doper l’économie américaine.
- Quel changement de stratégie la Chine a-t-elle opéré entre la guerre commerciale de 2019 et celle de 2025 ? Quelles sont les principales armes économiques de la Chine ?
Il s’agit moins d’un changement de stratégie qu’une évolution. Elle a été permise par la réorientation de la politique industrielle engagée il y a une quinzaine d’années et qui consiste à remonter une chaîne de valeur dont la Chine ne contrôlait alors qu’une partie. La Chine était (et reste largement) spécialisée dans les activités situées au stade aval du processus de production (assemblage, couture, …) ce qui fut considéré comme une faiblesse structurelle : faible valeur ajoutée de la production, dépendance vis-à-vis des importations de composants, exposition élevée au protectionnisme des pays importateurs. Le plan China 2025 lancé en 2015 par Xi Jinping avait ainsi pour but de remonter la chaîne de valeur non seulement pour que le pays devienne moins dépendant des importations de composants mais aussi, ce qui était moins explicite, d’occuper une position stratégique grâce à l’acquisition d’un pouvoir de monopole sur certains intrants.
La politique commerciale menée par les Etats-Unis au cours du premier mandat Trump visait ainsi l’approvisionnement de la Chine en intrants stratégiques, les microprocesseurs notamment. Mais cette politique a davantage conduit son rival à accélérer le programme initial qu’à le ralentir.
Ainsi, grâce à l’impulsion involontaire de Donald Trump 1 (mais aussi de Joe Biden), la Chine est parvenue à consolider ses chaînes de valeurs et à devenir moins dépendante. Elle est même devenue suffisamment maligne pour rendre aux Etats-Unis la monnaie de leur pièce en menaçant leur approvisionnement dans certains des intrants stratégiques qu’elle domine comme les terres rares.
Ainsi, davantage encore en 2025 qu’en 2018-19, la Chine a pu riposter aux menaces américaines non seulement par des rétorsions tarifaires mais aussi en faisant entrer dans la balance la fourniture d’intrants stratégiques situés en amont des processus de production pour lesquels elle est en situation de quasi-monopole.
C’est ainsi qu’on a découvert que la Chine n’était pas seulement un grand exportateur de produits finis qui menace la compétitivité et l’emploi des pays occidentaux mais aussi un producteur dominant de produits stratégique qui leur sont indispensables.
2- En quoi la stratégie de dépendances asymétriques prônée par Xi Jinping représente-t-elle une arme économique puissante ?
Dans l’approche libérale à la Montesquieu, deux pays qui échangent beaucoup entre eux deviennent mutuellement dépendants ce qui rendrait la guerre sinon impossible du moins plus coûteuse et donc moins probable. C’est d’ailleurs bien l’idée qui a dominé après la seconde guerre mondiale : le « doux » commerce amènerait la paix.
Mais, dans une optique plus « réaliste », le commerce conduit aussi à des « dépendances » éventuellement asymétriques, à l’avantage du pays qui en bénéficie ou qui a su les créer et au détriment des autres. Longtemps, les Etats-Unis, grâce à leur domination technologique (mais aussi industrielle, financière, diplomatique, militaire, etc.) bénéficiaient de cet avantage et donc d’un rapport de force favorable, du moins jusqu’à ce que la Chine joue à son tour de ces asymétries dans son rapport de force avec les autres pays et tout particulièrement avec les Etats-Unis.
La stratégie chinoise de « dépendances asymétriques » est ainsi à la fois défensive – réduire la dépendance de l’industrie aux intrants importés – et offensive – augmenter la dépendance des autres pays aux intrants chinois -. Pour résumer, il s’agit donc à la fois de rendre la Chine moins dépendante des autres pays (surtout s’ils lui sont hostiles) et les autres pays plus dépendants d’elle.
3- Quels sont les produits que la Chine contrôle aujourd’hui et qui donnent à Xi Jinping un levier stratégique dans la guerre commerciale ?
Les licences d’exportation sont devenues l’instrument principal de la Chine. Elles lui donnent la possibilité d’empêcher l’exportation de produits stratégiques. L’intérêt de ces produits réside moins dans les potentielles recettes en devises que de leur nécessité en amont des processus de production, notamment pour les industries automobiles, électronique, chimique, pharmaceutique et d’armement. Ainsi les terres rares chinoises, parmi les premières visées (avant même Donald Trump) servent entre autres à la fabrication de catalyseurs de pots catalytiques, d’aimants, d’appareils robotiques, de systèmes d’armement.
Les licences d’exportation concernent environ 700 produits dont ont besoin les firmes étrangères bien sûr, mais aussi les forces armées occidentales. Elles visent ainsi les équipements de pointe, les composants pour batteries, les biotechnologies, les capteurs et les minéraux critiques, les molécules pour l’industrie pharmaceutique (d’où les hésitations de Donald Trump sur ce secteur) et les intrants pour l’industrie automobile ou les panneaux solaires.
4- La stratégie chinoise pourrait-elle à long terme pousser les pays occidentaux à diversifier massivement leurs chaînes d’approvisionnement ? Pourquoi ?
Ce serait la réaction naturelle en effet mais pour l’instant la réaction se fait attendre. Pourtant, les terres rares ne sont rares que par leur nom. Le problème est que leur extraction est coûteuse non seulement du fait des investissements exigés mais aussi par leurs effets sociaux et environnementaux (idem pour le lithium d’ailleurs pourtant disponible ailleurs qu’en Chine). Elles risquent donc de rester « rares » un certain temps encore.
En ce qui concerne les batteries électriques la prise de conscience a bien eu lieu mais on n’en est encore qu’au stade de la désillusion.
Néanmoins, dans les domaines concernés, les techniques évoluent vite et la recherche (comme en Chine, d’ailleurs) pourrait contribuer à trouver des alternatives. Mais nos politiques de recherche sont-elles prêtes à surmonter ce type de défis ?
5- Quels sont les risques pour la Chine à utiliser trop fréquemment ses “armes économiques” ?
L’usage d’armes économiques dans un monde d’« interdépendance arsenalisée » (la weaponized interdependence de Farrell et Newman) appelle des réactions en chaîne aux effets difficiles à évaluer. Les pays concernés pourraient en effet être incités à trouver des alternatives et mettre en cause les monopoles chinois voire, si on est optimiste, de retourner la domination. On le sait, les guerres, quelles que soient leur nature, favorisent ce genre de dépassement et les succès incontestables de la Chine dans certains domaines (énergie renouvelable, batteries et voitures électriques) ont été acquis au prix fort ce qui a pesé négativement sur l’économie (surcapacités de production et fermetures d’usines, surendettement,…).
Si dans la guerre commerciale engagée par les Etats-Unis, la Chine jouait davantage encore la carte de ses exportations « stratégiques », leur prix baisserait certes dans le pays au profit des producteurs locaux pour augmenter dans les pays concurrents, mais au risque d’accroître encore les surcapacités de production qui favorisent le dumping et, en retour, les tensions commerciales avec les autres pays. Car si la politique chinoise a réussi à remonter la chaîne de valeur dans certains secteurs elle a aussi favorisé à coups de subventions la création d’entreprises non viables notamment dans l’automobile.
La Chine, malgré sa politique volontariste, reste dépendante des Etats-Unis, de l’Europe, du Japon, de Corée, de Taiwan pas seulement en aval pour ses marchés mais aussi en amont pour son approvisionnement. Le pays est encore loin d’avoir sécurisé ses chaînes de valeurs, n’est pas prêt à laisser se relocaliser en Inde ou au Vietnam ses firmes multinationales et reste très dépendant de technologies étrangères (notamment dans l’électronique).
Si dans ce jeu d’ « interdépendance arsenalisée » la Chine a gagné quelques points, elle peine à se renforcer dans d’autres réseaux hautement stratégiques, liés notamment à internet, ou aux systèmes de règlement bancaires (SWIFT) qui restent contrôlés par les Occidentaux et pour lesquels les alternatives, chinoises cette fois, ne sont pas évidentes.