Jean-Marc Siroën
Interview initialement publiée dans Atlantico le 25 mai 2025

Donald Trump a fait de nouveau trembler l’économie mondiale vendredi en menaçant l’Union européenne et Apple de nouveaux droits de douanier au mois de juin.
1- Le président américain, Donald Trump, a menacé ce vendredi l’Union européenne (UE) d’appliquer 50% de droits de douane aux produits européens importés aux Etats-Unis à compter du 1er juin, estimant que les négociations en cours « ne vont nulle part ». Pourquoi les nouvelles annonces de Donald Trump sur des droits de douane vis-à-vis de l’UE et d’Apple marquent-elles un tournant stratégique dans sa politique commerciale et dans le cadre de la guerre commerciale ?
C’est moins un tournant qu’une confirmation : Donald Trump est un protectionniste, tendance paranoïaque. Il croit pouvoir à peu près tout produire aux Etats-Unis, y compris les smartphones, et il persiste à croire que l’Union européenne n’a été créée que pour l’ « entuber ».
Le Président alterne durcissement et apaisement. Stratégie de négociation ou impulsivité ? Je penche pour la deuxième hypothèse. Sa menace d’imposer un droit de douane de 50% est assez stupéfiante puisqu’elle va bien au-delà des 20% annoncés lors du grand show du Liberation Day, le 2 avril dernier. Et si stratégie il y a, c’est une stratégie du chaos qui, par définition, ne peut être maîtrisée. Elle crée de l’incertitude et décrédibilise les Etats-Unis. Dans le message diffusé via sa plateforme Truth Social, le Président menace d’appliquer ces nouveaux droits dès le 1° juin (ce qui est techniquement impossible) alors que le temps laissé à la négociation devait aller jusqu’à début juillet.
On aurait tort de croire que Donald Trump est comme il le proclame, un génie de la négociation qui tire profit de l’incertitude soigneusement entretenue et du rapport de force qu’il crée. Il devient de plus en plus évident que ce grand narcissique improvise selon ses humeurs et l’ampleur du buzz qu’il peut créer sur les réseaux sociaux.
2- Pourquoi Apple est-elle spécifiquement visée par Trump, avec une menace d’au moins 25% de droits de douane aux États-Unis ? Que symbolise cette attaque contre l’un des fleurons de l’économie américaine ? Quels sont les impacts potentiels sur les chaînes de valeur mondiales si Apple devait relocaliser une partie de sa production aux Etats-Unis ?
Apple est l’incarnation d’une mondialisation de la chaîne de valeurs, c’est-à-dire l’assemblage en Chine de composants venant d’une multitude de pays. C’est donc aussi comme symbole d’une mondialisation honnie que la firme californienne est mise en cause.
Trump voudrait qu’Apple « fabrique » ses smartphones aux Etats-Unis plutôt qu’en Inde (environ 80% des iPhones restent assemblés en Chine). Peut-être a-t-il été déçu par ce qu’il considère comme une stratégie de contournement des droits de douane susceptibles d’être imposés à la Chine.
Localiser aux Etats-Unis la production de biens importés est l’objectif affiché du Président qui sous-estime les réalités industrielles d’aujourd’hui. En réalité, Apple est une entreprise de services qui se situe aux deux extrêmes de la chaîne mondiale de valeur : le design au début, la distribution à la fin. Entre les deux, le smartphone est assemblé essentiellement en Chine par des firmes taïwanaises, Foxconn et Pegatron, installées dans des zones spéciales et qui font venir les composants du Japon, de Corée du Sud, de Taïwan, d’Allemagne (et même de France) et un peu aussi des Etats-Unis. Cette activité d’assemblage ne représente qu’une très faible part de la valeur ajoutée du produit, sans doute moins de 5%. L’essentiel de la valeur est donc capté par Apple et les fabricants de composants. La firme n’a jamais rien fabriqué elle-même et n’a donc ni expérience, ni main-d’œuvre qualifiée et disponible. Et même si ce handicap était surmonté (et on ne voit pas trop comment) installer des unités d’assemblage aux Etats-Unis aurait sur l’économie américaine un impact économique extrêmement faible puisque le pays devrait importer ses composants de chez Samsung, TSMC, Sony, etc. Certes, ces firmes pourraient, elles aussi, être « incitées » à produire, leurs écrans, leurs cellules, leurs puces, etc. aux Etats-Unis mais, compte tenu du coût de la main-d’œuvre et son inexpérience, cela impliquerait des investissements très lourds et une très forte augmentation du prix pour des résultats très incertains.
3- Comment les marchés financiers et les investisseurs ont-ils réagi à la suite des annonces de Donald Trump de vendredi ?
En ce qui concerne Apple, le cours a perdu vendredi près de 3% ce qui est relativement peu, même si depuis le début de l’année, la chute a été de 25%. Les menaces vis-à-vis de l’Union Européenne ont certes provoqué une chute des indices boursiers significative mais pas pour autant catastrophique : un peu moins de 2% pour les bourses européennes. Pour certaines firmes très concernées, la chute a approché 5%. Comment expliquer cette relative modération ? Les cours reposent sur des anticipations et les déclarations de Trump ont inquiété les investisseurs sans être pour autant suffisamment crédibles pour provoquer l’effondrement.
4- Cette situation pourrait-elle relancer une guerre commerciale généralisée comme en 2018–2019 ? Ces pressions sur Apple et sur l’UE vont-elles accélérer les négociations avec Donald Trump pour tenter de trouver une issue à la crise dans la guerre commerciale ou les consommateurs seront-ils les plus pénalisés ?
Autant les mesures annoncées dès le début de son mandat par Donald Trump nous autorisent à parler de guerre commerciale généralisée, autant le terme serait excessif pour la période 2018-2019. Il s’agissait encore d’une escarmouche commerciale ciblée. Pour l’essentiel elle ne visait qu’un pays, la Chine. Pour les autres, l’Europe notamment, ce sont principalement l’acier et l’aluminium qui ont été touchés (les mesures prises réciproquement contre Airbus et Boeing faisaient suite à une procédure OMC et ne peuvent donc pas être considérées comme des actes de guerre commerciale).
Trump dixit dans le bureau ovale ce 23 mai : « J’ai juste dit qu’il est temps de jouer de la façon dont je sais jouer. Je ne recherche pas un accord. Dès lors, bien malin celui qui pourrait prévoir l’issue des négociations et même leur utilité. Le Président Trump reproche aux Européens un déficit commercial annuel qu’il chiffre entre 250 et 350 milliards de dollars (il était en 2024 de 236 milliards selon les données américaines et si on inclut les services il n’était plus que de 48 milliards).
La TVA le gêne, il la confond avec un droit de douane ce qu’elle n’est pas (c’est un impôt sur la consommation finale) et on imagine mal l’UE en exempter les produits américains. Il dénonce des « manipulations monétaires » (comme si la zone euro était responsable d’une politique budgétaire et monétaire qui pousse à la surévaluation du dollar) et des « poursuites injustifiées contre des entreprises américaines » (comme si l’extraterritorialité américaine n’avait pas touché des entreprises européennes). L’Europe apparaît ainsi comme un bouc émissaire facile.
La Commission européenne, et son commissaire au commerce, Maros Sefcovic, ont jusqu’à maintenant adopté un profil plutôt bas avec d’une part une annonce de sanctions et, d’autre part, leur suspension. L’UE n’a donc pour l’instant ni réagi ni à la surtaxe de 10%, ni aux 25% sur l’acier et les automobiles ce qui a pu être considéré comme un aveu de faiblesse par le Président Trump. Loin d’assouplir sa position, cette réserve l’aurait donc plutôt conduit à l’escalade. Si les 20% et, a fortiori, les 50% étaient appliqués, il va de soi que l’UE devrait répliquer au-delà de ce qui a déjà été prévu.