L’économie européenne et la guerre

Jean-Marc Siroën

Première publication : Interview d’Atlantico du 28/02/2025 sous le titre

Bye Bye America : quel modèle économique pour l’Europe dans un monde post-mondialisation ?

Alors que l’Europe a plus de difficultés à vendre ses excès de production sur le reste des marchés mondiaux et au regard des bouleversements provoqués par Donald Trump et Elon Musk, quelles sont les solutions économiques pour l’Europe dans un monde post-mondialisation ?

 Question d’Atlantico : Au regard des ruptures provoquées par Donald Trump comme des contraintes énergétiques, technologiques et géopolitiques qui pèsent sur nous, quel modèle économique pour l’Europe dans un monde post mondialisation ? Et notamment pour une Europe qui a aujourd’hui plus de difficulté à vendre ses excès de production sur le reste des marchés mondiaux ?

L’Europe n’a pas attendu le retour de Donald Trump pour s’interroger sur son avenir et sa place dans le monde. Les rapports Letta et Draghi avaient déjà ouvert le débat sur le recul de l’Europe. Ils sont maintenant dépassés par la fin avérée de la bienveillance américaine.

D’une part, les mesures protectionnistes qui vont vraisemblablement être prises contre l’Europe (un droit de douane de 25% est annoncé) affecteront davantage les exportations européennes que leurs importations. Sans doute faudrait-il alors envisager des mesures de rétorsions qui viseraient davantage les services, point fort des Etats-Unis (comme les droits de la propriété intellectuelle). Ce retour au protectionnisme pourrait aussi désinhiber l’Europe vis-à-vis de pays tiers comme la Chine mais en veillant à ce que les mesures prises visent moins les matières premières et composants que les produits finis (ce que ne réussit pas la taxe carbone aux frontières). Le plus grand danger du protectionnisme américain risque néanmoins d’être la délocalisation de l’industrie européenne aux Etats-Unis ou dans les pays qui ne seraient pas affectés par la hausse des droits de douane (s’il y en a !).

D’autre part, le choc le plus important pourrait venir du désengagement des Etats-Unis d’autant plus disruptif qu’il apparaît comme une victoire de la Russie. Sans parler d’économie de guerre (puisque l’UE n’est pas en guerre) les dépenses de défense devront s’accroître au-delà des 2% traditionnels ce qui implique un financement budgétaire au moment même où un certain nombre de pays, dont la France, doivent serrer les cordons de la bourse. Mais après tout, les Etats-Unis sont eux-mêmes bien plus endettés que les Européens et payent pour cela un taux d’intérêt sensiblement plus élevé : 4,4% contre 2,4% pour l’Allemagne.

Paradoxalement la crise actuelle, plus politique qu’économique, est non pas une chance (le terme serait déplacé) mais une occasion pour l’Europe de s’intégrer davantage là où elle perd à ne pas l’être, à la fois pour être plus indépendante mais aussi pour bénéficier des effets de dimension et donc d’une plus grande compétitivité. Concrètement, le désengagement américain doit pousser à une intégration des marchés liés à la sécurité, notamment dans l’industrie de défense.

Enfin, ne jetons pas non plus le bébé vert avec l’eau du bain populiste. Les objectifs de décarbonation loin d’être abandonnés doivent accompagner la revitalisation d’une Europe arrivée en retard et avec du plomb dans ses chaussures face aux productions chinoises. Qu’on le veuille ou pas, l’avenir de l’industrie automobile n’est pas dans le thermique, ce qui n’empêche pas de repenser les modalités de la transition et si nécessaire, le calendrier. Et puis, l’Europe est aujourd’hui plutôt sur la bonne voie, mais qui peut être très longue encore, pour trouver une réponse à une de ses faiblesses principales : une énergie plus rare et donc plus chère qu’ailleurs et qui devra être décarbonée, ce qui n’est pas nécessairement contradictoire avec un prix plus compétitif.

Cela implique un effort supplémentaire d’investissement et de recherche pour permettre à l’Europe de faire un saut technologique à la fois pour trouver sa place dans les grandes transitions qui s’engagent (dans l’automobile, l’énergie, la santé, etc.), et les changements qu’annonce l’IA même si ceux-ci sont encore un peu flous.

La question du financement sera évidemment au cœur des débats à venir mais, à entendre les dirigeants baltes, danois, polonais et même le futur Chancelier allemand, même les « pays frugaux » seraient prêts à revoir leur doctrine. Ils ont compris que le coût de  sécurité politique et économique a un prix qui ne sera plus supporté par les Etats-Unis dont l’objectif affirmé est au contraire de faire participer l’Europe, Ukraine incluse, à la réduction de son déficit budgétaire abyssal via, notamment, la hausse des droits de douane (ce qui est par ailleurs illusoires puisqu’ils seront surtout payés par les consommateurs américains).

Encore faudra-t-il que cette révolution se fasse en ordre et de la manière la plus coopérative possible quitte à revenir à l’ancien concept d’Europe à plusieurs vitesses. Et puis des leçons restent à tirer sur la politique européenne pendant la période Covid.

Pour se rassurer on dira que, comme chacun sait, l’Europe ne progresse jamais aussi vite qu’en période de crise. On y est.

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