Guerre commerciale: Qui en sortira gagnant, la Chine ou les Etats-Unis?

Interview d’origine sur atlantico : Donald Trump a-t-il déjà perdu son clash commercial avec la Chine ? 4 mai 2025.
https://atlantico.fr/article/decryptage/donald-trump-a-t-il-deja-perdu-son-clash-commercial-avec-la-chine-tarifs-douaniers-guerre-commerce-entreprises-industrie-taxes-emploi-Etats-Unis-Xi-Jinping-fed-pib-croissance-economie-Jean-Marc-Siroen

  • Quel est l’impact à court terme des tarifs douaniers imposés par Donald Trump sur les importations chinoises sur l’économie américaine ? Donald Trump a-t-il déjà perdu son bras de fer avec la Chine dans le cadre de la guerre commerciale ?

La guerre commerciale vise le Monde et pas seulement à la Chine. Mais il est vrai que ce pays qui conteste l’hégémonie américaine est le plus taxé (145%). Il ne bénéficie pas non plus du délai de grâce de trois mois accordé aux autres (avec néanmoins l’application d’un tarif uniforme de 10%).

Les effets de court terme sont une chose, les effets de long terme une autre. Pour l’instant, les importateurs réagissent aux droits de douane de 145% imposés à la Chine en accélérant leurs achats aux pays qui bénéficient de l’exonération temporaire des droits de douane « réciproques », ceux du « Libération day » du 2 avril. Le 12 avril, le Président Trump s’est néanmoins empressé d’exempter de la surtaxe de 125% un certain nombre de produits électroniques comme les smartphones et les ordinateurs soit environ le quart des importations américaines en provenance de la Chine.

Il est plus difficile d’y voir clair du côté de la Chine qui, si elle s’énerve, évite de trop le montrer tout en instituant une taxe de 125% (avec quelques exceptions) sur les importations américaines qui ne sont d’ailleurs pas très importantes. La Chine n’a pas attendu Trump 2 pour diversifier la destination de ses exportations et, en 2024, les Etats-Unis représentaient moins de 15% du total dans des secteurs où les exportations ne sont chinoises que pour les douanes et les statistiques. En effet, le iPhone n’est qu’un assemblage de composants fabriqués au Japon, en Corée, à Taiwan voire aux Etats-Unis. On estime à environ 5% seulement la part de la Chine dans la valeur ajoutée du produit. Quand ses exportations chutent de 100 dollars, le PIB chinois ne baisse donc que de 5… Les choses seraient différentes si la Chine exportait des automobiles électriques vers les Etats-Unis où, cette fois, la part de valeur ajoutée chinoise est plus importante, mais ce n’est pas le cas. La Chine n’exporte quasiment pas de voitures aux Etats-Unis ; elle vise davantage l’Europe.

Relativiser les effets des droits américains sur l’économie chinoise ne doit pourtant conduire à sous-estimer ses effets immédiats sur une économie qui connait depuis une dizaine d’années de graves déséquilibres : crise du logement, de la dette des collectivités locales, surproduction, chute démographique, consommation atone. À court terme, la perte du marché américain risque d’aggraver la situation dans certains secteurs et les mesures de rétorsions pourraient à leur tour poser quelques difficultés à ses entreprises. Si les firmes chinoises devaient brader leurs surplus aux Européens, elles risqueraient de voir ces marchés se fermer à leur tour.

  • Pourquoi les économistes estiment-ils que les États-Unis sont « sur le point » de connaître un choc économique majeur malgré une économie relativement stable jusqu’à présent ? La baisse des prévisions de croissance du PIB ou les perturbations des chaînes d’approvisionnement sont-elles les premiers stigmates de la guerre commerciale avec la Chine ?

Pour l’instant, l’impact négatif vient moins des droits de douane eux-mêmes qu’à l’incertitude qui règne sur la politique tarifaire qui sera mise en place une fois passé le délai de grâce. Cette situation conduit les consommateurs à accélérer leurs achats de biens importés, les entreprises à surstocker les composants et les investisseurs à suspendre leurs investissements ce qui, avec la baisse des dépenses publiques, ralentit la croissance : – 0,3% annoncés pour le premier trimestre 2025 en rythme annualisé contre +2,4% le trimestre précédent. C’est presque 3 points de moins !

Je ne crois pas qu’il y ait beaucoup d’économistes qui trouvent une rationalité économique à la politique commerciale du Président. Quoiqu’il en dise, élever les droits de douane est inflationniste directement s’ils portent sur un produit final, sinon par l’augmentation du prix des composants ou des matières premières importées. Dans ce cas, les droits de douane pèseront sur la compétitivité des firmes américaines notamment dans des secteurs comme l’automobile.

En réaction, la banque centrale et son Président, Jerome Powell, vestige de la séparation des pouvoirs, devraient maintenir des taux d’intérêt élevés par crainte de l’inflation et pour limiter une chute du dollar qui rajouterait quitte à mettre de côté l’objectif de croissance.

On touche-là à un des effets le plus notoires de la politique menée Donald Trump : il entretient l’incertitude et crée du risque qui se paye par des taux d’intérêt plus élevés ce qui ralentit la croissance. En même temps, il rend insoluble la contradiction entre les objectifs de la politique monétaire : croissance, stabilité des prix, plein emploi, équilibre extérieur. Un tel degré d’incompatibilité risque de conduire à des ajustements brutaux ou à des politiques stagflationnistes.

Mais ce qui est également nouveau par rapport aux précédents historiques (les années 1930 notamment), et que les économistes n’ont vraiment considéré qu’avec Trump 1 et la Covid, ce sont les conséquences de l’internationalisation des chaînes de valeurs. Dans ce monde, l’exportation d’un smartphone (mais aussi d’un Airbus, d’une automobile, etc.) soi-disant fabriqué dans un pays, n’y est qu’assemblé par des firmes locales, souvent à capitaux étrangers (comme la firme taiwanaise Foxconn) à partir de composants importés. Dès lors, le droit de douane ne « sanctionne » pas seulement le pays exportateur, mais aussi les pays fournisseurs, y compris, éventuellement, ses propres firmes.

  • Comment la dépendance des États-Unis à l’égard des importations chinoises de produits essentiels, comme les médicaments, affecte-t-elle la capacité de l’administration Trump à mener une guerre commerciale efficace ?

Toute guerre commerciale qui ne discrimine pas entre les produits et les pays (ce qui semble bien correspondre à la définition trumpienne du reciprocal tariffs) est un jeu « perdant-perdant ». Il conduit à une escale de contre-sanctions qui aggravent la situation. C’est d’ailleurs bien pour l’éviter que le GATT puis l’OMC avaient été mis en place il y a presque 80 ans maintenant.

L’efficacité d’une politique ne peut être appréciée que par rapport à ses objectifs. Or, on ne sait pas très bien lesquels sont poursuivis par le Président Trump sinon le souci narcissique de montrer ses muscles. Accélérer la croissance ? Elle était plus que convenable et la guerre commerciale ne fait que la ralentir. Relocaliser la production et créer des emplois ? Les Etats-Unis sont déjà en suremploi et les premiers effets de sa politique sera d’en détruire plutôt que d’en créer. Réduire la (relative) dépendance des Etats-Unis ? Mais dans ce cas, il aurait fallu cibler les secteurs stratégiques et avancer graduellement pour éviter les pénuries comme ce pourrait être le cas pour les médicaments. Imposer des négociations en position de force plutôt que dans les « machins » (De Gaulle dixit) de type OMC ? Pour l’instant, pas grand-chose n’émerge, ni avec la Chine, ni avec l’Union Européenne, ni avec personne. Affaiblir certains pays concurrents et peu dociles ? Mais le danger, avec les sanctions, c’est qu’elles obligent le pays visé à être novateur pour les contourner et pire, encore, pour les dépasser. C’est bien ce qui risque d’ailleurs de se passer avec la Chine. Si on la prive de microprocesseurs, elle les produira elle-même et peut-être même avec des technologies plus avancées et des coûts de production plus bas, comme a su le faire Huawei, autrefois sanctionnée par Trump 1.

  • Comment les différences de résilience entre les entreprises chinoises et américaines face aux perturbations commerciales façonnent-elles la dynamique de la guerre commerciale ?

Les deux systèmes sont très différents.

Les firmes américaines relèvent d’un capitalisme qui se projette moins sur les profits immédiats que sur leurs cours boursier. L’État intervient peu même si la tentation planificatrice n’est pas totalement absente de l’histoire américaine. Certains plans Biden et tout particulièrement l’IRA (Inflation Reduction Act) allaient d’ailleurs dans ce sens en faveur, notamment des automobiles électriques. La résilience du système américain américaines tient surtout à sa capacité à faire apparaître de nouveaux géants capables d’imposer ses normes, ses technologies et à les faire évoluer : IBM autrefois, Microsoft et Apple ensuite, Facebook, Twitter et Amazon après, Space X-tesla, etc. La crise Covid les a convaincus de diversifier leurs fournisseurs et, le cas échéant, leurs lieux de production ce que fait maintenant Apple qui veut achever de déplacer en Inde l’assemblage des iPhones destinés aux Etats-Unis. Encore faut-il qu’il ne vienne pas à Trump l’idée de trop surtaxer l’Inde !

La Chine s’est reposée sur trois types d’entreprises : d’abord les entreprises d’État subventionnées et peu résilientes. Puis, les firmes multinationales étrangères implantées dans des « zones spéciales d’exportation » de type Shenzhen -le vrai « atelier du monde » – qui bénéficient d’avantages notamment douaniers. Ce sont elles qui seront les premières pénalisées par les droits de douane américains mais leur déclin était déjà en cours bien avant Trump 2. Restent les entreprises chinoises d’abord associées à des entreprises occidentales (joint-ventures) pour favoriser les transferts de technologies (« pillage » dirait Trump), puis les dépasser, devenir autonomes et prêtes, au-delà du marché régional, à conquérir les marchés mondiaux. Pour les géants chinois actuels comme Ali Baba ou Huawei, inspirés au départ des géants américains, leur défi a été de rattraper puis de dépasser les technologies occidentales à la fois par leur performance, mais aussi par leurs coûts. Leur résilience, mais aussi leur vulnérabilité, pourrait s’appuyer, comme chez le constructeur automobile BYD, sur l’intégration de la chaîne de valeur qui gagne en compétitivité en évitant le cumul des marges.

C’est une inversion complète du modèle qui avait permis à la Chine de devenir le premier exportateur mondial.

  • Quel rôle les politiques fiscales et les décisions de la Réserve fédérale américaine jouent-elles dans l’atténuation des effets négatifs des tarifs sur les consommateurs et les entreprises américaines ?

Pour Trump, les tarifs douaniers sont aussi des recettes fiscales mais qui ne couvriront qu’une faible part du déficit budgétaire, sans doute moins de 10%. Et encore faudrait-il que leur assiette, les importations, ne se réduise pas trop (ce qui contradictoire !) et que la politique commerciale ne pèse pas sur la croissance.  Et si en complément, le Président a toujours pour perspective de réduire les dépenses publiques, il semble que la tronçonneuse d’Elon Musk connaisse aujourd’hui quelques ratés. Le déficit budgétaire a donc bien peu de chances de se réduire vite (plus de 6% du PIB aujourd’hui).

Pour les consommateurs, le risque le plus important est celui de l’inflation et, peut-être, de la pénurie de certains biens, comme les médicaments. La baisse des taux directeurs de la Réserve fédérale, souhaitée par Trump, s’attaquerait certes au risque de récession mais elle accroitrait celui de l’inflation. La chute du dollar qui accompagnerait cette baisse augmenterait encore le prix des biens importés.

La Réserve Fédérale pourrait-elle, au contraire, augmenter les taux d’intérêt si l’inflation se confirmait ? La banque centrale est censée être indépendante, mais cette décision serait considérée par le Président comme une déclaration de guerre et aujourd’hui, aux Etats-Unis, la séparation des pouvoirs, n’est plus vraiment considérée comme un acte fondateur intangible.

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