Il y a cinquante ans : la fin du système de Bretton Woods

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Le 15 août 1971, il y a juste 50 ans, le président Nixon annonçait, dans une allocution télévisée, la suspension de la conversion en or du dollar et une taxe de 10 % sur les importations, reversée aux exportations, améliorant ainsi la compétitivité des produits américains.

L’allocution du Président Nixon

Quelques mois plus tard le dollar connaissait sa première dévaluation depuis 1934  et, deux ans plus tard, à la suite d’une nouvelle dévaluation, le dollar abandonnait toute référence à l’or. La monnaie américaine devenait « flottante » et la fixation de son cours était laissée au marché des changes. En abandonnant à la fois la convertibilité-or et le système de parité fixe, le Président Nixon signait la fin du système monétaire, issu de la conférence de Bretton Woods de 1944, fondé sur des changes fixes c’est-à-dire définis par des parités en or pour le dollar (35$ l’once) et en dollars pour les autres monnaies du système, elles-mêmes convertibles en dollars. La monnaie américaine devenait ainsi la « monnaie-clé » du système de financement international ce qui ne sera pas remis en cause par la décision du Président Nixon. En effet, le dollar avait acquis une position telle dans le système de paiement qu’aucune autre monnaie, pas plus le Mark (puis l’euro) ou le yen que les autres, n’étaient en mesure de contester.

Pour garantir la viabilité d’un système qui aurait pu être perturbé par la volatilité des mouvements de capitaux, le système de Bretton Woods imposait leur contrôle. De fait l’abandon du système de parités fixes permettra de lever les restrictions sur les flux de capitaux ouvrant ainsi la porte à la mondialisation financière. C’était une revanche des banquiers qui n’avaient jamais vraiment admis le système de Bretton Woods voulu par Roosevelt, par son secrétaire au trésor Morgenthau (pourtant marié à une héritière des frères Lehman qui avaient fondé une des plus solides banques américaines … jusqu’à son effondrement en 2008) et l’assistant de celui-ci, véritable architecte du système de Bretton Woods, Harry Dexter White.

Henry Morgenthau Junior
Harry Dexter White
Harry Dexter White

En juillet 1944, lorsque les délégués de 44 pays quittent le Mount Washington Hotel où s’était tenue la conférence de Bretton Woods, ils croisent les participants à une nouvelle conférence qui réunirait, cette fois, le lobby des banquiers avec pour ordre du jour … la condamnation du traité (symboliquement) signé la veille dans la Gold room de l’hôtel. Un quart de siècle plus tard, la fin du système de Bretton Woods sera leur revanche.

Lorsque commencent les travaux fin juin 1944, à Atlantic City puis à Bretton Woods, un hameau montagneux du New Hampshire, White était, depuis deux ans au moins, en opposition frontale avec le représentant britannique, le célèbre économiste John Maynard Keynes. L’Américain voulait que le dollar ravisse à la livre sterling son statut de monnaie internationale avec même une hégémonie que la monnaie britannique n’avait pas acquise. Il est vrai qu’alors, les États-Unis disposaient d’environ 80% des réserves d’or mondial alors que le Royaume-Uni, ruiné par les deux guerres, n’avait plus rien. Arrimer le dollar à l’or faisait de la monnaie américaine la seule monnaie susceptible d’être le pivot d’un système arrimé à l’or.

White ne doutait pas de la pérennité du système qu’il avait fait accepter. Il avait tort. Lorsque, à partir des années 1960, le déficit courant américain se creuse, que le dollar est attaqué sur les marchés financiers et que les réserves d’or fondent, le système voulu par les États-Unis en 1944 devenait intenable. La politique expansionniste des États-Unis devenait incompatible avec la stabilité du dollar. Les banquiers, exaspérés par des réglementations qui limitaient les exportations de capitaux ce qui les empêchaient de jouir d’une meilleure rentabilité à l’extérieur, continuaient à faire pression pour que celles-ci soient levées.

Harry la taupe : ce père fondateur du capitalisme américain qui était en  fait un espion soviétique | Atlantico.fr
White et Keynes à Bretton Woods

Comme le visualise le fameux triangle de Mundell, le 15 août 1971, Nixon renonçait aux changes fixes pour libérer sa politique économique de la contrainte extérieure et permettre la libre circulation des capitaux. C’est ce jour là que s’ouvrait l’ère de la globalisation financière.

Why a Top U.S. Official Was Accused of Being a Soviet Spy After Pearl  Harbor - HISTORY
White prêtant serment lors de son audition au Congrès (août 1948) quelques jours avant sa mort

Le fait que ce soit le président Nixon qui décide la fin du système monétaire de Bretton Woods voulu par Harry White est un fichu clin d’œil à l’histoire. À la fin de la guerre, c’était lui, jeune représentant de Californie qui fut, au sein de la commission des activités antiaméricaines, le plus teigneux accusateur de Harry Dexter White, dénoncé comme espion soviétique par des repentis[1]. Celui-ci mourra d’ailleurs d’une crise cardiaque, en août 1948, quelques jours seulement après son audition,. Il est vrai que l’analyse ultérieure des décryptages des messages codés (opération Venona), envoyés des États-Unis vers l’Union soviétique confirmeront plus tard  les « imprudences » (et un peu plus) de White.

Celui qui, contre Keynes partisan d’une plus grande souplesse, voulait faire du FMI un modèle d’exigence, de rigueur et d’austérité, bref, dirait-on aujourd’hui, une incarnation de l’idéologie néo-libérale, était un admirateur d’une planification à la soviétique qui, selon lui, devrait inspirer les États-Unis !


[1] À noter qu’alors le futur sénateur McCarthy est un inconnu…

En savoir plus :

La bataille de Bretton Woods, L’express

Les accords de Bretton Woods : un champ de bataille, The Conversation

Il y a 75 ans, la « vraie » signature du traité de Bretton Woods, The Conversation

Nomination de Kristalina Georgieva. Pourquoi le FMI est-il toujours dirigé par un (e) Européen(ne)?

La nouvelle Directrice Générale du FMI, Kristalina Georgieva

Ce 25 septembre 2019, le conseil d’administration du Fonds Monétaire International a choisi une économiste bulgare, Kristalina Georgieva, pour succéder à Christine Lagarde à la tête de l’institution.

Le Fonds Monétaire International (FMI) et la Banque Mondiale furent créés par les accords de Bretton Woods en juillet 1944. Il faudra attendre néanmoins la Conférence de Savannah en mars 1946 pour que les « détails » soient définitivement réglés : localisation des institutions, profil des futurs dirigeants et … rémunération.

Mais ce qui intéresse les Etats-Unis à Bretton Woods, c’est le FMI dont les statuts définissent le système monétaire international et donc l’hégémonie du dollar. La Banque Mondiale doit certes aider à la reconstruction, mais ce n’est qu’un complément utile et peu stratégique. Le sujet, introduit tardivement dans l’ordre du jour, permet surtout aux Américains d’isoler l’indomptable négociateur anglais, John Maynard Keynes qui se voit confier la Présidence de la Commission chargée de discuter ses statuts . Ils verrouillent ainsi d’autant mieux la Commission en charge du FMI et présidée par Harry Dexter White, assisté d’un autre fonctionnaire du Trésor, Edward Bernstein.

Harry Dexter White n’était que l’assistant du Secrétaire au Trésor et Président de la Conférence, Henry Morgenthau Jr. Mais l’histoire a davantage retenu son nom que celui de son Ministre, ami intime du couple Roosevelt. White s’était très vite imposé comme l’inspirateur du nouveau système monétaire international que les Etats-Unis fonderaient sur les décombres de l’ancien étalon-or. Dès 1943, le « plan White » s’oppose au plus ambitieux « plan Keynes », mais tous les deux reconnaissent la nécessité de créer une organisation internationale dans le cadre des Nations Unies plus chères d’ailleurs à Roosevelt qu’à Churchill….

White est le grand vainqueur de Bretton Woods et, en quittant le Mount Washington Hotel qui accueillait la Conférence, tous les participants étaient convaincus qu’il serait le premier Directeur Général du FMI.

Non seulement, White ne sera pas désigné, mais les Etats-Unis se résigneront à nommer un Européen, le Belge Camille Gutt. Ils se satisferont de la Direction de la Banque Mondiale. Le fameux « accord tacite » vient de là.

Que s’était-il donc passé de si grave pour justifier l’éviction de White, célébré encore aujourd’hui, avec Keynes, comme le père fondateur du FMI ?

White sera certes nommé au Conseil d’administration, mais presque par erreur. Depuis de nombreuses années quelques personnalités, comme l’universitaire Adolf Berle, proche conseiller de Roosevelt, avaient été avertis par des transfuges que de hauts fonctionnaires insoupçonnables étaient des agents d’influence et des informateurs du GRU et du NKVD, les deux agences de renseignement de l’Union soviétique. Deux administrations étaient particulièrement concernées : le Département d’Etat et le Trésor. Des listes circulaient où apparaissait souvent le nom de Harry Dexter White. Le FBI du terrible Edgar Hoover, était informé mais, étrangement, cet anti-communiste convulsif, sans doute vexé de ne pas avoir démasqué lui-même les traîtres, avait préféré le déni. Une fois la guerre achevée, deux listes finissent pourtant par attirer l’attention : celle que Berle avait dressée en 1939 et fondée sur la confession d’un ancien agent, Wittaker Chambers et celle plus récente d’Elizabeth Bentley qui avait servi d’agent de liaison. Non seulement White apparaît mais avec lui plusieurs hauts fonctionnaire du Trésor qu’il avait lui-même embauché et dont beaucoup, six au total, l’avaient accompagné à Bretton Woods dont le présumé chef de réseau Nathan Silvermaster.

Le FBI se met donc au travail et met en place une surveillance serrée de Harry Dexter White, de son épouse et de ses deux filles . Le 1 er février 1946, quelques semaines avant l’ouverture de la Conférence de Savannah prévue le 8 mars, Edgar Hoover transmet au Président et au Secrétaire d’Etat James F. Byrnes un mémorandum accusateur contre White et le réseau Silvermaster auquel il appartiendrait. Le document est retransmis à au Secrétaire au Trésor, Fred Vinson. Les allers-retours prennent du temps. Pas assez pour bloquer la nomination de White à la Direction Générale du FMI mais trop pour empêcher une nomination au Conseil d’administration approuvée par le Congrès.

Deux ans plus tard, en août 1948, White mourra d’un arrêt cardiaque trois jours après avoir tenté de convaincre une Commission du Congrès de son innocence et subi les assauts d’un jeune représentant hargneux, Richard Nixon.

Simultanément, dans le cadre du programme Venona, les cryptographes déchiffraient les messages envoyés des pays alliés vers l’URSS où White apparaît plusieurs fois sous un nom codé.

Quelques années plus tard, la Commission Mac Carthy mettra en cause Truman qui avait nommé White au Conseil d’administration du FMI en toute connaissance des soupçons qui pesaient sur lui. Il s’en expliquera. Vraisemblablement, il n’avait pas eu connaissance sinon du projet Venona, du moins des décryptages en cours. Ainsi, la CIA, le FBI et même les MI5 (contre-espionnage) et MI6 (espionnage) anglais, eux mêmes gangrenés par des espions soviétiques (Guy Burgess et Kim Philby connaissaient Venona) en auraient ainsi su plus que le Président Truman lui-même !

Toujours est-il que grâce à l’espionnage soviétique et aux maladresses de Hoover, le FMI a toujours été dirigé par un Européen. Pour combien de temps encore ?