La mise à mort de l’Organisation Mondiale du Commerce

Les sept juges de l’organe d’appel. Mais c’était avant….

A partir de ce mercredi 11 décembre, la procédure de règlement des différends de l’Organisation Mondiale du Commerce ne pourra plus fonctionner. Pourquoi ? Parce que cette instance normalement composée de 7 juges n’en comptera plus qu’un seul alors qu’ils doivent être trois pour conclure un recours.

Cette situation inédite est imputable aux États-Unis qui s’opposent à la nomination de nouveaux juges ou au renouvellement des anciens. En effet, les décisions se prennent par consensus et les États-Unis, tout comme les autres membres, d’ailleurs, disposent d’un droit de veto. Certes, en cas de blocage, les textes de l’OMC permettent de passer à un système de vote majoritaire de type  « un pays, une voix » mais tout le Monde préfère l’ignorer plutôt que de déclencher une petite révolution institutionnelle qui romprait avec l’usage  et risquerait d’ouvrir une boîte de Pandore.

On peut toujours adresser des critiques à l’encontre de cette procédure de règlement des différends, mise en place avec l’OMC en 1995 et qui faisait de l’organe d’appel une sorte de cour suprême chargée de résoudre pacifiquement les conflits commerciaux quitte à autoriser des sanctions commerciales (plus une compensation des préjudices qu’une « vraie » sanction, d’ailleurs). L’OMC est la seule organisation multilatérale disposant d’un tel pouvoir.

C’est un peu par accident qu’en 1994, les États-Unis avaient accepté de ratifier le traité créant l’OMC et sa procédure de règlement des différends. A bien y regarder, en d’autres temps, cette ratification eut été impossible tant le traité contredisait deux grands principes de la politique internationale américaines, à savoir :

  • La procédure de règlement des différends, est une atteinte à la souveraineté nationale et aux prérogatives du Congrès. N’interdit-elle pas aux États-Unis d’adopter des sanctions commerciales qui ne seraient pas avalisées par l’OMC ? Pire encore, l’Organe d’appel ne serait-il pas amené à interpréter les textes et à imposer sa jurisprudence ?
  • Le multilatéralisme, dont l’OMC est une incarnation, ne s’entend que sous leadership américain rendant difficilement acceptable une institution aussi  indépendante que l’Organe d’appel.

Dès lors, seul un contexte extraordinairement favorable pouvait rendre possible la ratification. Ce fut la chute du mur de Berlin, l’éclatement du bloc soviétique et la perspective d’une « fin de l’histoire » qui ouvrirait la perspective d’un Monde post-hégémonique gouverné en dernière instance par des institutions mondiales bienveillantes. Le Président Clinton avait néanmoins concédé aux Républicains que le principe selon lequel le Congrès pourrait décider le retrait de l’OMC si les États-Unis étaient trop souvent « injustement » condamnés.

Les États-Unis n’ont pas attendu Donald Trump pour douter des vertus du multilatéralisme post-hégémonique. Les administrations précédentes, Bush Jr et Obama l’avaient déjà remis en cause en posant quelques banderilles mais sans parvenir à imposer une alternative crédible. Le Président actuel entend lui, porter l’estocade et transformer en refus ce qui n’était que réticence : les États-Unis sont suffisamment puissants pour imposer les règles qui les arrange et ce n’est certainement l’OMC qui les en empêchera… Ceci dit, on notera qu’en France, l’altermondialisme est né d’une condamnation de l’interdiction européenne d’importer de la viande de bœuf (le fameux « démontage » du MacDo de Millau …).

Ne nous faisons pas d’illusions. On peut adresser toutes les critiques que l’on veut  à l’organe d’appel, mettre en cause des délais trop longs, l’arrogance des attendus, l’interprétation des textes juridiques (qui est aussi la conséquence de leurs imprécisions, voire de leurs contradictions). On peut même proposer les moyens d’y remédier comme le fait, par exemple, l’Union Européenne. Mais, pour l’administration actuelle, les critiques ne sont que des prétextes et il existe bien peu de chances qu’un quelconque projet de réforme la satisfasse. Les États-Unis ne veulent plus voir leur politique commerciale contrainte par l’OMC ! Bien pire : il n’est même pas acquis que les possibles  challengers de Donald Trump pensent différemment (espérons-le, néanmoins)…

Malgré ses défauts, la procédure de règlement des différends n’avait pourtant pas démérité, loin de là. N’avait-elle pas contribué à mettre un terme aux guerres commerciales de l’ère Reagan ? N’avait-elle pas prévenu d’autres guerres qu’après la crise de 2008 beaucoup avaient considéré comme inéluctable ? A contrario, le blocage actuel montre que le préalable pour renouer avec le bellicisme commercial est bien de s’en affranchir.

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